Fièrement, le vieux Troll s’était juré de partir sans se retourner, mais c’est son cœur qui lui fit faire demi-tour.
Depuis longtemps déjà, sa place n’était plus sur les champs de bataille. Dix vies d’homme s’étaient écoulées depuis l’épique victoire de son clan sur Illidan et ses sbires.
Tous ses compagnons d’alors étaient déjà tombés sous les coups du temps, ou avaient succombé aux sirènes d’autres royaumes en guerre.
Il était seul, désormais, assis sur une petite colline du village de Sen’Jin, seul à ressasser ses souvenirs, ou à les noyer dans une bière-massue de Kreeg, vestige de ses victoires sur les ogres d’Hache-Tripes.
Oui, il se sentait très vieux, et il savait que son cœur allait bientôt l’abandonner. Mais dans ce dernier soubresaut de plénitude, une larme prit naissance au creux d’une paupière craquelée de rides, et se fit le prisme de ses souvenirs.
Il se surprit à sourire, pendant l’éternité qu’il fallut à cette larme ensoleillée pour atteindre la terre de ses ancêtres.
Il revit en elle mille visages, entendit les voix harmonieuses et mélangées de tous ses frères d’arme. Il sentit en elle l’amertume des défaites, le parfum et la fierté enivrants des victoires, les cris inimitables de l’amitié.
Alors la larme s’écrasa au sol, et pendant la fraction de seconde où elle éclata en un arc-en-ciel d’émotions, il comprit que ce n’était pas celle de sa mort. La vie venait de le quitter, et son sourire se figea sur son visage apaisé.
La vie, cette énergie sacrée qu’il avait immanquablement défendue, n’était plus en lui.
Mais ce sourire et cette larme, c’était son héritage.
D’autres allaient reprendre le flambeau.
La vie continuait.